Regard sociologique sur le télétravail : « nouveau » rapport au travail, surinvestissement et télétravail.
Les articles sur le télétravail foisonnent en cette période particulière, et il me semble que quelques questions et solutions restent à approfondir sous une perspective sociologique.
Le recours massif au télétravail dans ce contexte de pandémie du covid-19 n’est pas choisi pour tous, il s’agit bien d’une contrainte extérieure qui apparaît assez brutalement. Le télétravail fait alors l’objet de représentations diverses (satisfaction, craintes, angoisses, etc.).
Néanmoins pour d’autres, le télétravail est un changement nécessaire qui s’est imposé brutalement. Il peut alors être source de questionnements pour les employeurs, managers et salariés.
Nous montrerons que le rapport au travail actuel est compatible avec le télétravail malgré quelques limites auxquelles nous apporterons solutions.
Sous l’angle sociologique comment et pourquoi le télétravail est-il aujourd’hui possible, efficace ? quels conseils peut-on tirer de ces approches sociologiques ?
Des évolutions du rapport au travail favorables au télétravail.
Une transformation majeure du rapport au travail est causée par le glissement d’un contrôle managérial fort vers la responsabilité individuelle des salariés.
Les entreprises traditionnelles (tayloriennes et fordiennes) favorisaient le management directif. Le manager avait alors une posture de contraignant extérieur, il était responsable des résultats de son équipe, des salariés sous sa direction. Il assurait discipline et respect des règles au sein de l’entreprise afin de parvenir aux objectifs d’efficacité et de rentabilité réfléchis par l’employeur et pas nécessairement connus des salariés. La présence physique du manager était donc perçue comme un gage du respect des directives. Le manager se devait d’être autoritaire, il était le « chef ». Peu à peu, cette forme de contrôle s’est estompée avec le déclin de l’industrie et l’émergence de la tertiarisation et la moyennisation de la société (élévation du niveau d’instruction des français entre autres).
Cette forme de management n’est plus gage de bon fonctionnement organisationnel et dans les imaginaires sociaux, l’exercice de l’autorité n’est plus légitimé par un simple statut social. Le manager a aujourd’hui un rôle de « traducteur » des attentes de la direction, et, est devenu un acteur de socialisation des salariés : il doit s’assurer que les collaborateurs font bien leur travail selon les attentes mais surtout qu’ils adhèrent aux objectifs, aux valeurs, à la stratégie et à la culture d’entreprise afin qu’ils soient eux-mêmes en mesure d’évaluer leur travail, leur contribution à l’entreprise.
En quoi ce rapport au travail est-il gage de productivité en télétravail ?
Dans ce « nouveau » rapport au travail la réussite du salarié repose dans son imaginaire, majoritairement voire uniquement, sur ses compétences, capacités, sur son efficacité individuelle. Plus globalement, le travail occupe une place grandissante dans la vie des individus et est associé à une intensification de l’investissement personnel au travail. Le contrôle est alors interne à l’individu, il s’impose lui-même des contraintes pour bien faire son travail, évoluer, aider ses collègues, aider l’entreprise. Dans ce contexte le télétravail doit alors faire l’objet d’une certaine régulation afin d’être profitable à la fois à l’entreprise et au salarié.
Ce qu’il est ici important de souligner c’est le caractère potentiellement pesant de cette auto-contrainte, en particulier pour les travailleurs surinvestis. Ne l’oublions pas, le burn-out est « une maladie du sur-engagement ».
Les limites et avantages du télétravail selon le degré d’implication des salariés
Les avantages du télétravail peuvent être nombreux, en voici quelques-uns :
- Gains de temps car suppression du temps de trajets domicile-travail.
- Davantage de temps pour effectuer les tâches domestiques.
- Un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle.
- Une productivité et une concentration plus importante car moins d’interruption au cours du travail.
- Le sentiment que l’entreprise nous fait confiance, etc.
Néanmoins, ces avantages n’existent pas pour les salariés surinvestis au travail, puisque :
- Les difficultés de déconnexion peuvent se renforcer en télétravail, plus particulièrement si le collaborateur vit seul (car absence ou moindre pression familiale pour prendre des pauses et stopper l’activité le soir).
- La déconnexion psychique est également rendue plus difficile, notamment lorsque l’activité est réalisée dans un espace de vie important et non dans une pièce dédiée au travail.
- La réduction du temps de trajet peu devenir un prétexte pour travailler encore plus.
- L’individu surinvesti pourrait être d’autant plus sujet à la rumination mentale en télétravail (lorsque l’on pense à la même chose en boucle sans arriver à penser à autre chose). D’autant plus si celui-ci reste connecté aux réseaux sociaux professionnels le soir.
- Une charge de travail excessive passerait d’autant plus inaperçu en télétravail qu’au bureau, le manager ne saura pas forcément si le salarié a commencé très tôt, s’il a fait une pause le midi ou encore finit très tard.
En résumé, il y a une forte probabilité qu’un collaborateur surinvesti n’informe pas son manager d’une surcharge de travail et qu’il profite du télétravail pour rallonger considérablement ses journées de travail.
Une des principales limites du télétravail qui peut exister quel que soit le degré d’investissement est le sentiment d’isolement que certains salariés peuvent ressentir.
L’identification des salariés surinvestis peut-être difficile, c’est pourquoi dans ce contexte il parait important que les managers veillent en particulier à :
- Échanger avec les collaborateurs sur le vécu du télétravail le plus rapidement possible, en visioconférence ou par téléphone afin de faciliter le dialogue.
- L’adéquation entre la charge de travail et les horaires du salarié.
- Poser des règles de déconnexion collective (éviter d’envoyer des messages, des mails etc. après une certaine heure par exemple.)
- S’assurer que les attentes soient en adéquation avec les moyens à domicile : la connexion internet et le matériel professionnel peuvent être moins bons au domicile qu’au bureau par exemple.
Sources :
Laurie Kirouac, L’Individu face au travail-sans-fin. Sociologie de l’épuisement professionnel, Québec, Presses de l’université Laval, 2015, 235 p.
Claudie Rey et Françoise Sitnikoff, « Télétravail à domicile et nouveaux rapports au travail », Revue Interventions économiques [En ligne], 34 | 2006, mis en ligne le 01 juillet 2006, consulté le 17 mars 2020.